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TRIBUNE. « Il faut allonger les délais de l’IVG ! »

Le Nouvel Obs

Tandis qu’une proposition de loi prévoyant d’allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines doit être votée le 8 octobre à l’Assemblée, le Collège national des Gynécologues et Obstétriciens français (CNGOF) a émis par la voix de son président un avis défavorable. Un groupe de médecins lui répond.

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

Nouvelle bataille de l’IVG en perspective ? Au moment où un projet de loi va être examiné à l’assemblée, deux camps s’opposent au sein du corps médical.

Rappel des faits : en juin 2019, le gouvernement commandait à deux députés, Marie-Noëlle Battistel (PS) et Cécile Muschotti (LRM) un rapport sur l’accès à l’IVG, qu’elles ont présenté le 16 septembre devant la Délegation aux Droits des Femmes de l’Assemblée nationale. Constatant que le recours à l’IVG reste « un parcours semé d’embûches », notamment à cause de la difficulté de trouver un praticien, elles ont formulé une série de propositions pour que l’avortement, 45 ans après la loi Veil, soit « un droit effectif ».

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Parmi ces propositions, un allongement des délais de recours, de « douze à quatorze semaines de grossesse, afin d’éviter que les femmes confrontées à des difficultés en début de parcours (errance médicale, délais de rendez-vous trop longs…), se trouvent hors délai et dans l’impossibilité de faire pratiquer une IVG en France ». Simultanément, la députée du Val-de-Marne Albane Gaillot (EDS), a déposé un projet de loi similaire en juillet dernier, appelant elle aussi à un allongement de deux semaines des délais d’accès à l’IVG. Cette demande récurrente, portée par plusieurs associations féministes et de nombreux praticiens se heurte à l’opposition d’autres médecins. Parmi eux, le professeur Israël Nisand, à la tête du Collège national des Gynécologues et Obstétriciens français (CNGOF). Selon lui :

« Aucune femme ne demande, ni n’espère, que l’IVG dont elle a besoin soit tardive. Ce qu’elles demandent, c’est que les choses aillent vite lorsqu’elles le décident. [...] Plutôt que d’allonger le délai légal, donnons les moyens aux hôpitaux de gérer toutes les IVG comme des urgences. »

Il justifie sa position en décrivant dans le détail ce que signifie selon lui une IVG à 16 semaines (SA), à savoir un geste de « dilacération fœtale », « dangereux », « choquant », tout en se défendant de considérations religieuses ou morales.

Des gynécologues et des obstétriciens lui répondent :

Le CNGOF (Collège national des gynécologues et Obstétriciens français) par la voix de son président, a émis un avis défavorable aux propositions portées par la députée Albane Gaillot ainsi que par la Délégation aux Droits des Femmes et votées en commission des affaires sociales à l’Assemblée par la quasi-unanimité des députés présents mercredi 30 septembre. Cette loi prévoit d’étendre le délai de l’IVG de 14 à 16 semaines d’aménorrhée (14 semaines de grossesse) et doit être votée prochainement.

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Ces propos n’engagent que lui et ne correspondent pas à la position soutenue depuis plusieurs mois voire années par de nombreux médecins pratiquant régulièrement des IVG et confrontés aux réalités du terrain.

- Non, les IVG hors délais ne sont pas toutes dues aux difficultés que rencontrent les femmes pour avoir un rendez-vous rapidement, et mieux mailler le territoire est certes indispensable mais ne suffira pas.

Il y aura toujours, pour un petit nombre de femmes, des situations complexes, violences, viols, déni pour lesquelles le délai de 14 semaines se trouvera dépassé et la poursuite de la grossesse inenvisageable.

Cette extension des délais permettra de prendre en charge en toute légalité et d’accompagner de façon adaptée ces femmes en leur évitant de se rendre, quand elles en ont les moyens financiers, dans des pays européens limitrophes où la loi permet des IVG plus tardives.

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- Non, une IVG chirurgicale à 16 semaines d’aménorrhée n’est guère plus traumatique ni techniquement difficile qu’à 14, car oui, il y a dilacération et extraction par fragments même à des termes plus précoces. Nul besoin de souligner les détails de la technique, qui est rigoureusement la même, dans l’espoir d’impressionner et de heurter la sensibilité de nos concitoyens.

La méthode chirurgicale – comme la méthode médicamenteuse – est efficace et sûre à ces termes et le choix de la méthode devrait pouvoir être donné aux femmes quel que soit le terme.

La plupart des médecins qui font des IVG sont prêts à se former comme l’ont fait les professionnels britanniques, hollandais et espagnols. Certains pratiquent déjà ces gestes dans le cadre des IMG et sont prêts à prendre en charge les femmes qui souhaitent interrompre une grossesse entre 14 et 16 semaines.

- Enfin non, maintenir la double clause de conscience n’apporte aucune sécurité aux femmes, et un médecin qui refuse de réaliser une IVG pour des raisons éthiques ou religieuses ne changera pas de posture. La clause de conscience existe déjà et n’a pas de raison d’être doublée pour l’IVG, pas plus que pour n’importe quel acte médical.

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Seul un accompagnement de nos jeunes collègues pour les convaincre de l’importance pour les femmes de disposer de leur corps et de recourir à l’IVG si elles le souhaitent permettra de susciter des vocations. Une revalorisation financière de cet acte serait également incitative dans la lutte contre la désaffection de ce geste.

L’IVG est une offre de soin tout aussi essentielle pour la santé des femmes que la prise en charge du cancer du sein. Ne prenons pas le risque d’en fragiliser l’accès par un argumentaire fallacieux et spectaculaire.

Signataires :

Dr Mélanie Horoks, responsable du Centre d’IVG de la Maison des Femmes de St Denis

Dr Ghada Hatem, médecin-cheffe de la Maison des Femmes de St Denis

Dr Danielle Hassoun, gynécologue-obstétricienne, Paris

Dr Maud Gelly, médecin du Centre d’IVG de l’hôpital Aviciennes, Bobigny

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Dr Sophie Gaudu, responsable du Centre d’IVG de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre

Dr Philippe Faucher, responsable du Centre d’IVG de l’hôpital Trousseau

Dr Emmanuelle Piet, présidente du collectif féministe contre le viol (CFCV)

Dr Nathalie Trignol-Viguier, pour le bureau de l’Association nationale des Centres d’IVG et de Contraception (ANCIC)

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