Des plus forts aux plus banals, la mémoire range, conserve et restitue nos souvenirs. Comme une horloge bien réglée, celle-ci s'articule tel un savant mécanisme. Cette organisation méticuleuse n'est pas le fruit d'une seule mémoire, mais de plusieurs bien spécifiques.

Les différents types de mémoire

Pas facile d'imaginer comment notre cerveau emmagasine tous les moments vécus, les informations et les apprentissages auxquels nous sommes confrontées jour après jour.

Pointilleux et méthodique, le fonctionnement de notre mémoire ne repose pas sur un seul type d'"enregistrement". Nous avons ainsi plusieurs sortes de mémoires, qui ont chacune leur rôle.

  • La mémoire épisodique
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Il s'agit de la plus connue et même de la plus classique. "C'est une mémoire identifiable dans le temps et dans l'espace", nous indique Benoît Selingue, psychologue spécialisé en neuropsychologie et trésorier adjoint de l'Organisation Française des Psychologues spécialisés en Neuropsychologie (OFPN). Elle concerne notamment les souvenirs autobiographiques et personnels, par exemple : se rappeler ses dernières vacances.

  • La mémoire sémantique

Qu'est-ce qu'une banane ? Un fruit long, incurvé, jaune (ou vert). Ce savoir concerne la mémoire sémantique, qui stocke les connaissances générales sur le monde. Elle peut avoir aussi un aspect plus personnel, comme se souvenir du nom de la rue dans laquelle on habitait durant notre enfance.

  • La mémoire procédurale

"C'est la mémoire des gestes, des habitudes", explique Benoît Selingue. Elle enregistre ainsi nos apprentissages pour les muer en automatismes. "Faire du vélo ça ne s'oublie pas : quand on monte dessus on ne réfléchit pas" ajoute-t-il. Pédaler, conduire ou encore marcher font partie des automatismes dont s'occupe cette fameuse mémoire procédurale.

  • La mémoire de travail  

"Si l'on vous demande de répéter 5782, vous répétez 5782", démontre le psychologue spécialisé en neuropsychologie. La mémoire de travail (ou à court terme) garde sur une faible durée un nombre limité d'informations. Celle-ci comprend notre faculté à restituer instantanément un numéro de téléphone à composer.

Mais qu'en est-il de la mémoire olfactive ou encore visuelle ? Il s'agit d'"affinités" qui s'appliquent aux différents types de mémoire : par exemple, pour l'épisodique nous aurons des images qui nous reviennent en tête, et même des parfums. "C'est une modalité de préférence, mais un souvenir est composé de plein de modalités sensorielles", remarque le spécialiste.

Aussi plurielle soit-elle, la mémoire enregistre les informations dans le cerveau via un même processus de mémorisation. Pour en savoir plus, rendez-vous dans la zone de l'hippocampe.

Le fonctionnement de la mémorisation

"Typiquement, on va avoir trois étapes de mémorisation : premièrement, on encode l'information, après on la stocke en mémoire, et enfin on la récupère en mémoire", développe Benoît Selingue. "Au niveau cérébrale, la zone de l'hippocampe est incontournable, notamment pour la mémoire épisodique", assure ce denier. Il est d'ailleurs crucial dans l'encodage (l'enregistrement en mémoire). Il permet de créer les souvenirs et de les mettre en relation.

La récupération en mémoire (troisième étape de la mémorisation) est un élément très important, car si l'on forme des souvenirs, c'est bien pour avoir la capacité de se les remémorer. "La récupération sollicite plutôt des fonctions attentionnelles", explique le psychologue. "Si on est fatigué, déprimé ou stressé, c'est plus dur de se remémorer. On a moins d'attention à disposition pour le faire", ajoute-t-il. Dans la maladie d'Alzheimer, c'est cet aspect de la mémorisation qui est précisément touché.

Outre la fatigue, la déprime ou la maladie, certains souvenirs passent plus ou moins à la trappe quand d'autres sont totalement ancrés dans nos coeurs (ou plutôt nos hémisphères cérébraux). Un traitement de faveur ?

Le traitement du souvenir

Un dîner d'anniversaire, un premier voyage au bout du monde, l'odeur de la maison de ses grands-parents en été... Les doux moments passés, nous reviennent en tête magnifiés. Et c'est normal : "Si on passe un excellent moment, on le cristallise davantage", souligne Benoît Selingue.

Que les souvenirs soient fabuleux ou déplaisants, c'est l'amygdale qui en fait son affaire. Située dans le cerveau non loin de l'hippocampe, elle est s'active fortement lors d'une grosse frayeur ou d'une colère. "On se rappelle plus facilement des événements mauvais, par exemple où on était le jour des attentats du 13 novembre", illustre le psychologue. Ces moments marquants sont qualifiés de "flashbulb memory" : "On a une hyper fixation dans la mémoire épisodique", témoigne-t-il.

Si certains événements traumatiques restent gravés, d'autres peuvent être difficiles à récupérer en mémoire. "Par un processus psychique qu'on ne comprend pas forcément, le souvenir est encodé mais on n'arrive pas bien à le récupérer. Un élément déclencheur peut cependant faire survenir toute la vague de souvenirs", explique Benoît Selingue.

S'il y a un lien évident à faire, c'est bien celui qui existe entre la mémoire et les émotions. Elles assurent même un rôle déterminent.

Mémoire et émotions, un lien crucial

"Pendant longtemps on a dit qu'il y avait les émotions d'un coté et la cognition de l'autre, mais en fait tout cela très lié (...) Quand on parle d'émotion, il y a à la fois l'intensité et la balance (le positif et le négatif)", raconte le membre de l'OFPN. Si on vous demande qu'est-ce que vous avez mangé la semaine dernière à la cantine ou qu'est-ce que vous avez commandé au restaurant avec votre meilleure amie, il ne fait nul doute que vous vous rappèlerez du repas entre copines et pas forcément de la cantine. "L'émotion module l'encodage en mémoire, le stockage et la récupération. Plus elle est forte, plus elle ajoute de la profondeur d'encodage". Le sommeil joue, lui aussi, un rôle déterminant dans la consolidation du souvenir. "On sélectionne ce qui est important à retenir et ce qui est moins important", ajoute Benoît Selingue.

Mais peut-on espérer maîtriser sa mémoire, en ayant la possibilité d'apaiser les émotions liées à un événement douloureux ? La méthode EMDR ("Eye Movement Desensitization and Reprocessing*), est une thérapie cognitive qui vise à soigner les troubles psychotraumatiques par des mouvements oculaires et des stimulations tactiles ou auditives. Ces stimulations agissent sur le cerveau pour libérer les émotions négatives. Cette technique a notamment été utilisée auprès des victimes des attentats parisiens.

"Se remémorer le souvenir dans un cadre contrôlé, avec un professionnel, cela permet d'avoir un état émotionnel plus détendu à propos du souvenir", explique le spécialiste. Si l'EMDR existe et fait ses preuves, la psychothérapie illustre typiquement ce type d'encadrement professionnel.

Il y a beaucoup à dire et surtout à retenir à propos de la mémoire. Mais ne vous en faites pas, elle se charge de tout.

*Désensibilisation et retraitement des mouvements oculaires