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Prix Bayeux

«Il y a encore beaucoup à dire sur le trafic d'êtres humains en Libye»

Photojournaliste d'origine mexicaine, Narciso Contreras expose à la Tapisserie de Bayeux (Calvados) jusqu'au 5 novembre dans le cadre du prix des correspondants de guerre. En s'appuyant sur l'une de ses photos, nous lui avons laissé la parole pour qu'il détaille le contexte de son travail en Libye.

Narciso Contreras.
Narciso Contreras. Géraud Bosman/RFI
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Narciso Contreras a couvert plusieurs conflits et leurs conséquences humanitaires, notamment en Syrie et au Yémen. Auréolé de la bourse de la fondation Carmignac, il séjourne en Libye entre février et juin 2016. Il documente alors la réalité des trafics d'êtres humains dans les centres aux mains de milices, loin de la capitale.

« L'homme allongé par terre s'appelle Ibrahim Mussa. Nous sommes dans le centre de détention de la ville de Sorman, à l'ouest de Tripoli, en mai 2016. Il se tord de douleur parce qu'il a un cancer de l'estomac, au stade terminal. En plus, il n'a pas mangé les jours qui ont précédé cette photo. Son ami tente de l'aider à se relever, mais sa douleur est trop forte. Personne ne semblait pouvoir faire quoi que ce soit pour l'aider. Ils sont restés là jusqu'à ce qu'on les ramène à un bus avec un groupe et qu'ils soient emmenés quelque part, je ne sais pas où, même si j'ai bien posé la question. Cette image décrit à mon sens parfaitement les conditions dans lesquelles vivent les millions de migrants en Libye et les demandeurs d'asile, notamment ceux qui sont malades.

J'avais un droit d'accès de quinze minutes, et la première scène dont je suis témoin est celle de ces deux jeunes Africains. En réalité, le moment le plus critique de cette scène, je n'ai pas eu le droit de le photographier. Car il y avait des cadavres dans ce coin du camp où ils se trouvaient.

Ensuite, je suis entré dans l'enceinte principale de ce qui était une énorme usine désaffectée : des milliers de migrants y étaient enfermés. Parmi eux, des malades, sans accès aux soins. Je me suis entretenu avec quelques-uns. Puis les gardes libyens m'ont reconduit. Tout s'est passé très vite.

Narciso Contreras à Bayeux, le 9 octobre 2020.
Narciso Contreras à Bayeux, le 9 octobre 2020. Géraud Bosman/RFI

Rentrer dans ce genre d'endroit, administré par une milice libyenne et loin de la surveillance des autorités de Tripoli, est extrêmement difficile. Cela demande beaucoup de temps, des mois, et plusieurs séjours en Libye pour les atteindre. J'ai pu pénétrer dans ce camp par l'intermédiaire de différents contacts, notamment un collègue à Zawiya, qui avait un gros réseau. Il m'a aidé à rentrer en contact avec le commandant en charge de différents lieux de détention. Il a fallu suivre une sorte de protocole, que je m'entretienne avec le responsable de ce camp pour qu'il me connaisse. Ils m'ont accordé le droit d'interviewer deux détenus qui était en fait deux esclaves qui travaillaient pour le commandant. Je n'ai pu prendre ni notes, ni enregistrement, ni photos. Juste leur parler. Donc je n'ai pas pu inclure cet épisode dans ce projet photo.

Autre scène vécue : je rencontre un homme dans la vieille ville de Tripoli, qui est un énorme point de regroupement pour les migrants, clandestins ou non. Il est au téléphone avec un ami ou l'un de ses frères en détention dans un centre. Le commandant lui demande d'apporter de l'argent comme condition de sa libération. C'est un témoignage en direct et une preuve d'extorsion de fonds pour libérer un homme. J'ai collecté plusieurs témoignages de la sorte. C'est du trafic d'êtres humains.

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Banni de Libye

J'ai commencé par couvrir la crise des migrants en 2014. J'ai alors réalisé l'étendue du problème : la spécificité de ce conflit, au-delà de la question des migrants, c'est qu'il s'agit également d'un business très lucratif. J'ai donc eu l'envie d'aller plus loin avec un projet à long terme. Nous avons réussi à sortir des preuves de l'existence de trafic et de l'esclavage d'êtres humains et d'une petite partie de cette gigantesque situation dans laquelle des milliers et milliers de gens sont piégés [la diffusion de l'enquête choc de CNN en novembre 2017 sur les marchés d'esclaves a eu un retentissement mondial, mais le phénomène était déjà vu et dénoncé depuis plusieurs années par journalistes et humanitaires sur place, ndlr]

► A lire aussi : Marchés aux esclaves en Libye: un enfer qui ne date pas d'hier

Depuis ce travail, je n'ai plus le droit de revenir en Libye. J'ai essayé plein de fois, j'ai parlé au ministère de l'Intérieur, à celui de la Communication, rien à faire, je suis black-listé. Les autorités libyennes étaient très remontées contre moi après ce reportage. En établissant que les milices au pouvoir sont impliquées dans le trafic de migrants, j'ai mis au jour quelque chose que Tripoli essayait de cacher et ils se sont sentis menacés. Ce reportage m'a rendu trop visible alors qu'il est préférable de faire profil bas pour pouvoir continuer à travailler. J'aurais même préféré le faire de manière anonyme, mais d'un point de vue déontologique, c'est impossible, il faut un nom associé à ce travail. J'enrage car il y aurait beaucoup à dire sur ce qui continue de se passer là-bas, sur les marchés d'esclaves, aujourd'hui connus de tout le monde

Et c'est d'ailleurs la seconde partie de l'histoire que j'aimerais raconter : ce marché est lié à un plus vaste réseau qui opère des pays sub-sahariens à l'Europe, via la Libye. Ce commandant que j'ai rencontré sur la côte ouest m'a parlé d'un bateau de 500 places conduit par des trafiquants italiens venu d'Italie  acheter des migrants pour les ramener. Comment a-t-il pu parvenir jusque-là ? Aucune idée. Il y a un trou noir [de l'information, ndlr] dans les eaux libyennes contrôlées par les milices. Et dans la foulée des révélations sur les marchés d'esclaves en Libye, de nombreuses autres ont fait état de situations d'esclavage autour de centres de détentions en Italie, notamment dans le secteur agricole. »


Le Fil rouge lycéen

Depuis le 8 octobre, RFI suit des lycéens en immersion au Prix Bayeux. Pour ces ados, c’est une semaine hors-les-murs de leur école, à la découverte du monde extérieur et de son actualité, des journées studieuses et riches en rencontres (masquées) avec des professionnels des médias mais aussi en action avec l’élaboration d’un journal, Citoyens du monde, d'un journal radio et d'une web télé.

Samedi 10 octobre. Encadrés par Delphine Ensenat, rédactrice animatrice et Laurent Derouet, journaliste, des élèves de première du lycée Alain Chartier de Bayeux préparent les interviews qu'ils s'apprêtent à avoir avec des journalistes du Prix Bayeux. « Plus que l'écriture, ce sont les rencontres avec les journalistes qui importent, et surtout la crème de la profession qui est là, disponible pour eux », indique Laurent Derouet. Laura, Hyanie, Manon et Flavie ont même eu un privilège : 25 minutes avec le président du jury, Ed Vulliamy et avec Marielle Eudes, directrice photo de l'AFP. Formuler ses questions, construire son article, et comprendre le concept d'angle d'un sujet... c'est une véritable initiation à la fabrique de l'information. « Le plus difficile, c'est d'écrire sans dévier de son angle et de mettre des citations », explique Flavie.

Si le journal Citoyen du monde est bouclé dans la semaine pour être distribué lors de la cérémonie, les élèves poursuivent le travail tout le week-end pour réaliser huit pages supplémentaires. Au total, 28 pages d'un magazine très professionnel qui sera diffusé dans tous les lycées.

Conférence de rédaction pour l'élaboration du journal Citoyen du monde des lycéens.
Conférence de rédaction pour l'élaboration du journal Citoyen du monde des lycéens. Géraud Bosman/RFI

A l'étage, les studios radio et télé. Ici, les choses sont plus techniques. Il faut apprendre à poser sa voix au micro, lancer des sons en direct au régisseur... « Evitez les qui, les que, pensez à la respiration, évitez les silences... », les consignes fusent alors que l'heure du journal approche. Ces jeunes du lycée Arcisse de Caumont ont deux jours pour s'appropier les bases radiophoniques. Animés par le Clémi Normandie, cet atelie radio existe depuis douze ans. « L'objectif est double, explique Céline Thiéry, formatrice au Clémi : rendre les élèves producteurs d'information et les confronter à la responsabilité de la parole donnée publiquement. »

Ecouter l'émission des lycéens

Dans moins d'une demi-heure, ces journalistes en herbe auront une interview en direct avec Marielle Eudes, directrice photo de l'AFP. Ca cogite dur, mais sans stresse.
Dans moins d'une demi-heure, ces journalistes en herbe auront une interview en direct avec Marielle Eudes, directrice photo de l'AFP. Ca cogite dur, mais sans stresse. Géraud Bosman/RFI
Derniers réglages de l'image.
Derniers réglages de l'image. Géraud Bosman/RFI

Chaque année, près de 2 500 élèves de l'académie – moins pour cette édition – sont impliqués au coeur de la programmation du Prix Bayeux, conférant à ce dernier une dimension d'éducation aux médias particuièrement précieuse et unique en France.

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